jeudi 30 septembre 2010

USA : "Les tendances protectionnistes se renforcent"

L'Europe restera-t-elle plus libérale que les USA ? un sujet capital pour notre avenir et celui de l'UE !


Un article dans Le Monde :

Le Congrès américain veut sanctionner le yuan faible

"La Chambre des représentants des Etats-Unis a adopté, mercredi 29 septembre, un projet de loi permettant d'augmenter les droits de douane contre les pays pratiquant la concurrence commerciale illicite. Le résultat du scrutin a été massivement bipartisan : 249 démocrates et 99 républicains ont voté pour, 74 républicains et 5 démocrates contre. Le texte, qui doit être soumis au Sénat avant sa promulgation par le président Barack Obama, prévoit que le département du commerce peut traiter "les devises fondamentalement sous-évaluées" comme des subventions illégales aux exportations, autorisant les entreprises à demander une indemnité compensatoire.
Une manière de viser la Chine. Washington juge, en effet, qu'elle sous-évalue volontairement sa devise, le yuan (ou renminbi), pour favoriser ses exportations et freiner la consommation de produits étrangers. La Chine a immédiatement fait savoir qu'elle "s'oppose fermement" au texte. Elle juge qu'il est "non conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce" et qu'il va "nuire gravement" aux échanges sino-américains. Le déficit commercial américain avec la Chine atteint 145 milliards de dollars (107 milliards d'euros) sur les douze derniers mois.
En juillet 2010, les Etats-Unis importaient pour 1 milliard de dollars par jour de produits chinois. Ces dernières semaines, la Maison Blanche avait multiplié les signaux indiquant au Congrès qu'elle souhaitait donner un coup de semonce. Le 19 juin, Pékin avait laissé miroiter une réévaluation de sa devise. Le 13 septembre, le secrétaire au Trésor, Tim Geithner, accusait la Chine d'avoir en réalité "peu agi" : 2 % d'appréciation du yuan en trois mois.



En septembre, le principal conseiller économique du président américain, Larry Summers (il a depuis annoncé sa démission), n'avait rien obtenu au terme de ses trois jours passés en Chine. Le 21 septembre, M. Obama demandait à Pékin de "faire plus d'efforts". Mercredi, avant le vote à la Chambre des représentants, il a évoqué la nécessité de "faire pression sur la Chine à cause de sa monnaie".



Flatter l'électorat



A un mois des élections législatives du 2 novembre - la totalité de la Chambre et un tiers du Sénat seront renouvelés -, la tentation est grande pour les hommes politiques de flatter un électorat qui a fait de la résorption du chômage le principal enjeu du scrutin.



D'autant plus que les tendances protectionnistes se renforcent. D'où ce vote massif de la Chambre des représentants.



Ce vote s'inscrit cependant dans une logique et une suite d'affrontements puis de réconciliations entre Washington et Pékin sur les questions monétaires et commerciales, dans laquelle chaque camp dispose de moyens de dissuasion. Aux Etats-Unis, le fond du conflit tient au sentiment, dans les élites comme dans l'opinion, d'une inexorable poussée économique de la Chine et d'un déclin concomitant de l'Amérique, sur fond de régression de l'appareil industriel.



Selon une étude de Moody's Analytics, la fabrication de biens aux Etats-Unis générait 28,3 % du produit intérieur brut (PIB) américain en 1953 ; elle n'y concourt plus que pour 11 % en 2009. Pour manger, s'habiller, se meubler et, de plus en plus, s'équiper en matériel informatique, les Américains consomment des produits fabriqués ailleurs, d'abord en Chine.



Début septembre, M. Obama a nommé à la Maison Blanche un conseiller chargé de la production, Ron Bloom, un adepte du "capitalisme travailleur" (worker capitalism). Ce dernier a beaucoup oeuvré à Wall Street et bénéficie aussi de nombreux contacts dans les milieux syndicaux. A cette occasion, le président américain a eu ces mots : "Nous devons recommencer à fabriquer des choses." Comme si M. Obama découvrait les vertus de la politique industrielle quand nombre d'experts, dans son entourage, croient peu à ces "vieilleries". De fait, une stratégie volontariste de "défense des producteurs américains" pour rétablir un peu le niveau de leur activité passée est soutenue par certains secteurs : la majeure partie des petites et moyennes industries non délocalisées, les syndicats affaiblis de cols bleus, les agriculteurs...



Mais elle suscite des réserves ou l'hostilité déclarée des milieux financiers et des multinationales, grandes vendeuses de produits qu'elles font fabriquer ou achètent en Chine. Ou encore des entreprises de services importatrices, telles que les géants de la grande distribution : le slogan de Wal-Mart, premier importateur américain de produits chinois, est "Payez moins, vivez mieux."



Les deux parties bénéficient de relais importants au Congrès. Et en cette période préélectorale, de nombreux candidats, démocrates et républicains, dénoncent le "double jeu" et les "subventions occultes" de Pékin à ses producteurs.



Gare au "retour de bâton"



"Les Chinois doivent comprendre que notre volonté de lutter contre les manipulations de leur devise est sérieuse", clame le sénateur démocrate Charles Schumer. Mais mercredi, la chambre de commerce américaine, principal lobby patronal, jugeait les menaces de sanctions contre Pékin "contre-productives". Eswar Prasad, ex-directeur de la division Chine du Fonds monétaire international, craint qu'elles "suscitent un très fort retour de bâton" chinois.



A gauche, Steve Clemons, directeur adjoint du groupe de réflexion New America Foudation, à Washington, écrivait dans un article récent : "L'Amérique n'ira pas très loin en cherchant à faire de la Chine une excuse pour son malaise actuel. (...) Elle doit plutôt prendre ses responsabilités, fabriquer des biens et rebâtir sa capacité d'innovation."



Nombre d'analystes jugent surtout les sanctions irréalistes au regard des tendances de l'économie mondiale. La "machine" américaine ne repart pas quand celle de la Chine connaît un vigoureux regain de croissance. Sa consommation devrait croître au rythme de 9 % d'ici fin 2011, selon une étude de la banque HSBC. Une récente analyse du bureau du budget du Congrès estime à 20 milliards de dollars le produit de ces sanctions. Sept fois moins que le déficit commercial américano-chinois annuel au rythme actuel.



Sylvain Cypel